Où est donc la place de l’outil linguistique de la communauté sourde? Impliquée au sein de la communauté sourde, j’ai souvent été confrontée à la problématique « Langue des signes » ou « Langage des signes » que je n’avais pas démystifiée sur papier à ce jour. J’entends déjà les : « Pourtant, on réfère plus souvent à ce moyen de communication comme étant le LANGAGE des signes ou non la LANGUE des signes ». Il s’agit d’une erreur que beaucoup font. Et en voici l’explication : Noam Chomsky définit le langage comme suit : « [il s’agit d’] une compétence innée, spécifique aux humains, qui permet le fonctionnement de la pensée ». Il m’apparaît avoir très peu de gens aptes à communiquer en LSQ* de manière innée. Et si ce don était aussi commun, les chercheurs ne travailleraient pas sur des projets comme ce gant qui traduit la langue des signes. De son côté, la langue est décrite comme un « Système de signes vocaux, éventuellement graphiques, propre à une communauté d’individus, qui l’utilisent pour s’exprimer et communiquer entre eux ». Toutefois, il me semble erroné de dire que la langue s’arrête aux habitudes audio-vocales et au systèmes graphiques. William Stokoe[1], linguiste et professeur à l’Université Gallaudet est le chercheur qui a démontré que la langue va plus loin que cette définition grâce à la théorie de la double articulation d’André Martinet[2]. Selon cette théorie, tout système de communication possède deux niveaux d’articulation : la première articulation représente un signifiant/signifié et la deuxième articulation représente un phonème (unité minimale de sens). La langue des signes possède des marqueurs temporels, un lexique complet (pronoms, noms, verbes, etc.), elle fait l’utilisation des marques du pluriel, et ses gestes (à tous les niveaux du corps) représentent les phonèmes des langues orales. Saussure dit de la langue qu’elle est : un « système de signes distincts correspondant à des idées distinctes » et il perçoit les unités linguistiques comme étant un concept/une signification relié à un son/une image. Cette définition de Saussure rend implicite l’inclusion de la langue des signes au sein des langues de ce monde. Les niveaux de fonctionnement fondamental de la langue d’Alain Polguère vont dans le même sens que Saussure. Polguère prône que la langue a besoin de ces 5 facteurs : 1. la sémantique qui concerne les sens et l’organisation des termes au sein des messages que l’on peut exprimer dans une langue; 2. la lexicologie et la sémantique lexicale 3. la syntaxe qui concerne la structure des phrases ; 4. la morphologie qui concerne la structure des mots ; 5. la phonologie et la phonétique qui concernent les éléments sonores et qui sont la forme même des énoncés.[3] La langue des signes répond aux cinq points si on accepte que la phonétique puisse être exprimée gestuellement. Les signes peuvent très bien réaliser, de façon imagée, les sons de la langue orale. Et puisque la langue des signes contient un alphabet complet, il est facile d’exprimer les sons, ne serait-ce que par la suite logique des lettres les formant. Selon Chomsky, le signifiant et le signifié sont associés à un terme (voire ici à un signe) et une image pour être encodés dans la mémoire. Il semble beaucoup plus facile de faire l’encodage en ayant comme point de départ un signe qui ressemble à l’objet à encoder plutôt qu’une série de lettres. Prenons par exemple le terme « chercher ». Il est plus facile d’encoder la version signée où le signeur met ses mains devant ses yeux afin de former des jumelles et imite l’action de chercher plutôt que le terme écrit qui est formé de lettres placées une à la suite de l’autre : « C-H-E-R-C-H-E-R ». Le principe de la grammaire universelle de Chomsky, principe bien connu du milieu linguistique, est un autre exemple qui peut s’appliquer aux enfants apprenant la langue des signes. Ce principe reconnaît que tous les humains ont une connaissance innée des principes de grammaires de tous les langages. En ayant seulement une connaissance de base des règles de grammaire et du vocabulaire d’une langue, il est possible de former une infinie de phrases. L’enfant n’a donc qu’à en apprendre les rouages (mots, idiotismes, morphèmes lexicaux et non lexicaux, etc.), chose qui se fait autant dans la langue orale que la langue signée. Aux environs de 12 mois de vie, les enfants commenceront à s’exprimer à l’aide de la langue orale. C’est entre 18 et 24 mois qu’on remarquera une grande progression au niveau du langage et du vocabulaire. Depuis quelques années, des cours de langue des signes pour bébés sont offerts par des professionnels afin de permettre aux enfants de communiquer avec leurs parents de manière plus rapide. Grâce à l’apprentissage de la langue des signes, il est possible de converser avec des bébés entre 6 et 9 mois qui ne parleraient pas autrement, puisque leurs organes phonatoires ne sont pas encore prêts et que leur cerveau est encore trop immature pour comprendre pleinement le langage oral. Voilà donc une raison de plus d’apprécier la langue des signes! Voilà! C’est tout pour aujourd’hui! Merci de lire mon tout premier article sur la linguistique. Diplômée en linguistique française et finissante au baccalauréat en traduction à l’Université Laval, j’ai toujours été passionnée par les langues. J’espère vous transmettre cette passion à travers mes articles! N’hésitez pas à partager et à me laisser des commentaires. Vous pouvez m’envoyer un tweet ou m’écrire un courriel à alexe@flipscriptmedia.com! *LSQ : langue des signes québécoise
[1] Stokoe, William C. A dictionary of American sign language on linguistic principles, Linstok Press, 1976. [2] Martinet, André. Éléments de linguistique générale, Armand Colin, 2015. [3] Alain Polguère, Lexicologie et sémantique lexicale –notions fondamentales, Les Presses de l’Université de Montréal, 2008, p.22
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